Amélie BENOIST

S'incrire là où peu s'aventurent

Amélie Benoist

La photographie à peine inventée, certains photographes comprirent immédiatement ce nouveau médium non au service de leur narcissisme mais comme arme de persuasion. John Thomson, Jacob Riis, Lewis Wickes Hine chacun à leur manière bâtirent un genre nouveau,  le photojournalisme. Au service de leur cause, avec un fil conducteur : dénoncer les injustices et convaincre de réformes nécessaires. Amélie, jeune photographe professionnelle, dépasse cette démarche toujours installée au sein des rédactions. Fusion avec la réalité, oui, mais toujours dans l’expression de la relation à l’autre. L’urgence n’a pas sa place car cette relation à l’autre doit se construire, il faut du temps.

Et de la confiance.

Comme Eugène Smith, l’esthétisme a peu de place. Lui qui se demandait pourquoi une grande profondeur de champs s’il n’y a pas une profondeur des sentiments concevait son métier de photographe toujours dans l’engagement de long terme.

Amélie Benoist: Unité de soins palliatifs

Cela ne doit pas être une coïncidence, regardez cette photo du bain de Tomoko avec sa mère, torturé par le mercure. Regardez cette photo d’Amélie issue de sa thématique ‘Unité de soins palliatifs’.

Un même regard, une même compassion, une même humanité.

Amélie du haut de ses dix-neuf ans parcourra seule pendant cinq mois la jungle et la montagne népalaise à la rencontre des soldats maoïstes. Apprendre la langue, développer un sens aigu de la négociation, être attentive aux modes de vie… bref être à l’écoute pour créer cette relation de confiance. N’est pas n’importe qui celle qui réussit à se faire accepter dans un camp d’entrainement paramilitaire maoïste !! Alors ne soyons pas surpris si son œuvre, ses thématiques préfère-t-elle dire, s’inscrivent là où peu de photographes s’aventurent.

Le site d'Amélie

De la dictature de l'urgence

Amélie Benoist: Art thérapie
Dialogue avec Jean-Paul Droz, 17 août 2017

JPD : Amélie, partir seule à 19 ans à la rencontre des maoïstes népalais, était-ce bien sérieux ?

Amélie : Lorsque j’ai terminé mes études de photographies, j’ai eu besoin de m’atteler à un premier projet, une sorte de projet test, un défi personnel afin de voir si j’étais capable de mener un reportage à bien. J’étais jeune et à ce moment-là reportage rimait pour moi avec grand voyage. Il fallait aller loin, se mettre en difficulté pour aborder des thématiques dont on entend peu parler. En profiter pour découvrir une culture qui m’était alors totalement inconnue. J’ai fini par jeter mon dévolu sur le Népal qui était alors en pleine crise politique avec la montée en puissance d’une révolution maoïste. J’ai souhaité me rendre dans les régions contrôlées par les maoïstes afin de rendre compte de la situation. Voyager dans ces districts éloignés du Népal ne fut pas une mince affaire, les quatre heures de marche initialement prévues pour rejoindre une école maoïste se transformèrent en trois jours, nous n’avons pas la même notion du temps ni de la distance.

Mais cette marche en valait le coup, j’ai pu aller à la rencontre d’une des trois écoles maoïstes en expérimentation dans le pays. Découvrir les méthodes pédagogiques employées (apprendre à compter avec des faucilles et marteaux, apprendre à lire sur des pommes à la gloire de Mao), voir les cours de self défense dispensés chaque matin avant le début des cours. D’après plusieurs témoignages le maniement des armes étaient également enseigné dans ces écoles. Les enfants vivaient en complète autonomie, préparant eux même leur repas, cultivant la terre, les plus grands aidant les petits dans les gestes du quotidien. Les conditions de ce reportages ont été difficiles mais tellement enrichissantes. Ce fut une immersion complète dans le mode de vie des villages népalais, mais aussi la culture. Par exemple pour entrer dans un camp maoïste j’ai dû attendre cinq jours à l’extérieur à parlementer avec différents chefs de camps. A force de tasses de thé et de récits sur Paris j’ai pu entrer. Les liaisons téléphoniques étaient limitées au district et ne permettaient pas d’atteindre la capitale Katmandu, à un jour près quand je suis rentrée, l’Ambassade allait me déclarer disparue.

Amélie Benoist: Autisme

JPD : Quel bilan as-tu tiré de cette première expérience hors norme ?


Amélie : Ce premier reportage m’a permis de comprendre qu’il est important de passer du temps sur un sujet. Les discussions amènent de nouveaux angles et de nouvelles informations, l’immersion permet de retranscrire au mieux le quotidien. Tisser des liens et construire une relation de confiance permet également de pouvoir passer inaperçu. Au Népal c’était parfois se mettre en difficulté pour se calquer au quotidien des villageois, c’est ainsi que j’ai pu avoir accès à la culture et aux modes de vie.
 
JPD : A l’opposé de toute démarche esthétique ?


Amélie : Je n’ai jamais été attirée par la photographie pour le médium en lui-même. Ce qui me passionnait petite était la possibilité de relater des faits par le simple biais d’une image. Cela me paraissait le meilleur moyen de rapporter des faits de façon objective (évidement je me suis rendue compte entre temps que la manipulation des images est tout aussi possible…). Je n’ai donc jamais cherché à avoir une démarche esthétique en première intention. Le but est tout d’abord le témoignage via l’image. La photographie est plus un outil pour moi pour raconter/rapporter des morceaux d’histoires. C’est pourquoi je ne cherche jamais à mettre en scène mais je cherche à capter la vie quotidienne des gens afin de la retranscrire du mieux que je peux.

Amélie Benoist: Accouchement à domicile

JPD : Comme un manifeste social ?


Amélie : Non je ne cherche pas à dénoncer ou à prendre position. Je cherche simplement à retranscrire le quotidien de certaines personnes ou groupes afin de mettre en lumière des thématiques que l’on refuse de voir ou dont on parle peu.
 
JPD : Plus besoin d’aller au bout du monde ?


Amélie : A la fin de mes études je pensais que l’inconnu et donc la découverte et l’apprentissage, ne pouvaient se faire qu’au travers de voyages et de rencontres en dehors de mon monde occidental. A mon retour en France, après mes études de journalisme en Inde je me suis rendu compte qu’il y avait une myriade de thématiques à étudier, tout près en France. En Inde pendant mes études j’ai travaillé sur des thématiques telles que l’abandon des personnes âgées, l’accès à l’avortement, les problématiques liées à la commercialisation des mères porteuses… Des thématiques qui ont tout autant besoin d’être mises en lumière en France. Il y a de quoi nourrir ma curiosité et mon envie d’apprendre.

Amélie Benoist: Les clowns relationnels

JPD : L’actualité te fournit ton matériau ?


Amélie : L’urgence ne m’intéresse pas et c’est une difficulté car aujourd’hui reportage est presque synonyme d’actualité et donc de rapidité d’exécution. J’ai toujours refusé cette rapidité. La compréhension des sujets traités demande au contraire un temps d’immersion afin de retransmettre le quotidien réel. Mais travailler sur des thématiques à long terme est de moins en moins possible ou alors pas à plein temps. J’ai besoin de prendre du temps pour intégrer le quotidien des personnes, observer les échanges, me faire oublier et en même temps tisser des liens. Il me semble impossible de pouvoir témoigner du quotidien des personnes sans avoir construit une relation de confiance. Je suis admirative par exemple du travail fait par Lizzie Sadin sur les violences conjugales, travail fait sur de nombreuses années.


JPD: As-tu une vision pessimiste de la société?

Amélie Benoist: EHPAD

Amélie : Je traite souvent, mais pas uniquement, de thématiques ‘graves’: la fin de vie, la maladie, les problèmes sociaux… Cela ne veut pas dire que ma vision de la société est pessimiste. Ce sont simplement des thématiques qui me touchent et qui m’intéressent. Je pense au contraire me focaliser sur les relations humaines et leur richesse. Un regard bienveillant, une aide apportée, des échanges… C’est pour moi au contraire très optimiste de voir ces interactions malgré la gravité du sujet. Mais peut être qu‘une personne non habituée à ces thématiques délicates pourrait trouver ces reportages ‘sombres’ ou ‘pessimistes’. Ils reflètent pourtant pour moi des réalités de la vie, de notre société et j’essaie justement de mettre en évidence des échanges riches et positifs.



Amélie Benoist: Jumeaux
Amélie Benoist: Médecin de campagne
Amélie Benoist: Réfugiés Bhoutanais

Mise en ligne: août 2017